Comment parler à nos enfants et nos adolescents
des évènements tragiques du 13 novembre 2015 ?
"JE TE PROTÈGE".
Marcel RUFO, pédopsychiatre - Hôpital Sainte-Marguerite, Marseille
17 novembre 2015
D'abord laisser apparaître son émotion n'est pas une position négative ou fragile, au contraire. Les enfants vont écouter nos propos à partir du moment où ils comprennent l'importance de notre blessure et de notre vécu douloureux. Ils vont même être en position de nous aider. Leur parler nous rassure aussi.
Selon les âges et la vulnérabilité des enfants, les discours doivent être ajustés:
Pour les moins de 4 ans, encore une fois, c'est notre émoi qui les émeut.
A cet âge des phobies et des peurs (on croit à la présence d'un méchant qui va rentrer dans la maison pour vous tuer), l'imaginaire est peuplé de craintes naturelles qu'il va falloir vaincre lors du développement. Il ne faut pas être trop détaillé dans nos propos pour ne pas trop donner matière à ces peurs physiologiques. Un discours le plus sobre possible semble s'imposer.
A partir de 5-6 ans, l'idée de mort est acquise pour l'enfant.
On sait que 15 % d'entre eux sont naturellement anxieux sans que cela ne soit pathologique. Les parents doivent être attentifs à la personnalité de leur enfant. C'est l'idée de mort qui les attaque et non ces morts injustes. Si un changement de comportement apparait (reprise d'une énurésie, changement de caractère...), il faut consulter votre pédiatre qui vous orientera, si nécessaire, vers une consultation spécialisée de pédopsychiatrie. On ne discute pas pour les personnes ayant assisté à ces horreurs de cellules psychologiques, mais dans la vie de famille, un enfant qui change de comportement et étonne les parents nécessite une consultation préventive.
Au primaire, au moment des apprentissages, on se doit de discuter loyalement, sans fard, de ces épisodes monstrueux.
Il faut reprendre les discussions commencées en classe après la minute de silence de lundi 16 novembre. En nous questionnant, l'enfant se rassure.
Pour les adolescents, ils sont rapidement informés par les réseaux sociaux car ils sont dans le monde de l'immédiateté, de la vitesse de l'information.
Parlons-en avec eux, demandons-leur de consulter leurs tablettes si nécessaire, transmettons-leur le journal pour qu'ils bénéficient d'analyses secondarisées. Ils nous montrent leurs appareils et vous leur proposez votre quotidien. Il faut faire groupe, être une nation au sens noble, la nôtre, la plus belle, la France, celle de « la liberté, l'égalité, la fraternité" comme l'a dit en français Barack Obama dans son discours d'amitié.
Une nation a un Président, ses discours sont l'antidote de ces images terribles. Quelle que soit notre appartenance politique, elle doit s'effacer au bénéfice de la confiance qu'on se doit d'accorder à celui qui nous dirige. Si on émet un doute ou une critique, alors les enfants imagineront que ces choses terribles vont pouvoir se reproduire.
Il faut passer de l'image nationale à la réassurance intime, familiale même si au fond de nous-mêmes, nous craignons des récidives. A quoi bon transmettre une angoisse irrationnelle qui interdirait ce qui constitue notre belle vie : la musique, le sport, le cinéma, le théâtre, les sorties, les voyages ... ?
Il faut peut-être moins regarder la TL et les chaînes en continu au bénéfice de discussions en famille, de moments de regroupement et d'être ensemble, en se serrant pour se sentir plus forts.
Soyons adultes et responsables, parents en somme.
Cette simple formule : « je te protège », c'est ce que les enfants et les adolescents veulent entendre de notre part.
Marcel RUFO, pédopsychiatre -Hôpital Sainte-Marguerite, Marseille
17 novembre 2015